Festival Les Volques
Portraits croisés au Festival des Volques : Robert Schumann et Betsy Jolas en face à face
Par Anne Ibos-Augé - DIAPASON le 13 décembre 2022
Festival Les Volques
Pour la troisième année consécutive – après Beethoven/Manoury et Schubert/Lachenmann –, le festival nîmois, sous la présidence de François-Xavier Roth et la direction artistique de Carole Roth-Dauphin, mêle compositeurs et perspectives. Vivant dialogue de genres et de styles.
Master-classes, concerts pédagogiques, actions destinés aux personnes « en situation d’immense précarité », projet
« Génération Volques » de soutien aux jeunes artistes : le festival nîmois clôt un travail de longue haleine.
Marquée par la pandémie, l’édition 2022 témoigne de la grande adaptabilité des artistes, confrontés à diverses défections. Betsy Jolas elle-même, souffrante, s’est prêtée avec une grande générosité au jeu de la visioconférence,
offrant au public des échanges émouvants autant qu’éclairants sur quelques-unes des vingt-quatre de ses compositions qui émaillaient l’événement.
Scènes de genre et musique pure
Au menu du vendredi : pièces de caractère et musique pure. Les premières entrelacent fragments des Waldszenen
(Joël Soichez les joue sur un Pleyel carré de 1844) et Épisodes pour clarinette, flûte ou alto seuls (l’après-midi du lendemain accueille l’Épisode IV pour saxophone ténor, très belle pièce à résonances et multiphoniques).
Dans la même veine, le Caprice « aléatoire » à une voix (celle d’Anne-Aurore Cochet) mêle théâtralité et déconstruction poétique. Invitées surprises, Clara Schumann et ses Trois Romances (jouées à l’alto par Carole Roth-Dauphin).
Côté musique pure, deux quatuors. Certains mouvements du Quatuor V portent les échos du passé musical cher à Betsy Jolas : résurgences médiévales (organum « enluminant » un cantus firmus voyageur) ou plus tardives (Toccata, choral),
« fausses » citations (un motif continu tutti, quelques enchaînements harmoniques évoquent Messiaen ou Dutilleux). L’énergie et la connivence des Diotima font ici merveille, comme dans le Quatuor op. 41 n°1 de Schumann qui suit.
Autour du piano
Le samedi matin est pianistique. Entre œuvre méconnue (Études en variations sur un thème de Beethoven dévoilées par Cédric Tiberghien) et cycle phare (Davidsbündlertänze livrées avec émotion par Jean-François Heisser), se glissent trois pièces de Betsy Jolas (dont Signets en ostinatos superposés) et son Trio 88. Interrogeant le paradigme chambriste, l’œuvre répond en imitations de motifs et de modes de jeu, opposées à de rares temps d’unisson. Deux réponses à Schumann, Frauenliebe et D’un Journal d’Amour convient l’alto, avec piano ou soprano. Dans les titres du premier (dialogue saisissant, « habité » par Laurent Camatte et Jean-François Heisser) se glissent parfois quelque référence
(« doubles » baroques des Pochoirs, Canticles stravinskiens, Comptines dansantes schumanniennes).
Le second s’entend, sur des citations de Pierre Reverdy, comme une lettre à l’amant absent, tant instrumentale
(Carole Roth-Dauphin) que vocale (Anne-Aurore Cochet). En création française, « Rounds to catch » témoigne d’un magnifique travail « proliférant » sur quatre canons anciens (« Rounds » et Catch, du trio dédicataire et interprète).
Pour finir la soirée, Michael Spyres et Mathieu Pordoy, plus à l’aise dans la Dichterliebe que dans L’œil égaré,
proposent de la première une version toute de retenue et de délicatesse.
Seuls ou à plusieurs
Le quintette à vents O Wall et le trio « Les Heures » questionnent – encore – l’« ensemble » : le point de départ du premier est d’ailleurs l’apostrophe au mur séparant les amants du Songe d’une nuit d’été. Les deux œuvres alternent sections thématiques – chaque instrument revendiquant parfois son motif – et gestes brefs, mettant en valeur similitudes ou disparités de matières et de textures. Même confrontation/imitation d’univers sonores dans Afterthoughts,
Quatuor VII pour trompette et cordes ; piétinements, claquements de langue, raclements d’ongles sur pavillon ajoutent à la théâtralisation de ce récit musical glissé dans le concert de l’après-midi. Celui-ci invite le jeune quatuor Confluence – Topeng, Quatuor XVIII, image musicale de masques (souvenir d’Indonésie) et (très) fougueux Quatuor op. 41 n°3 –
dans le cadre de « Génération Volques ». Le concert de clôture donne entre autres à entendre, de Schumann, une sonate de violon intense et spontanée (Pierre Fouchenneret, Jean-François Heisser) et, de Jolas, l’étonnant mélodrame Rambles thru 44 the Mysterious Stranger. Imaginé d’après le roman de Mark Twain contant l’histoire d’un mystérieux jeune homme traversant un temps auquel il n’appartient pas, l’opus explore l’idée des « doubles » produits par cet étranger fauteur de troubles, révélateur de la futilité de l’existence. Après cette riche édition, rendez-vous est donné en 2023
pour un autre croisement prometteur : Wolfgang (Amadeus Mozart)/George (Benjamin).
Nîmes. Festival Les Volques, les 9, 10 et 11 décembre.